Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/226

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vous ne m’aidiez à les remplir ? pourrais-je supporter l’ennui des soirées de la reine, de nos tristes solennités, si votre présence ne m’en donne le courage ? Non ; je me connais, une langueur mortelle s’emparera de moi, je quitterai tout pour venir ici retrouver la vie, et l’on criera au scandale, et l’on vous accusera de mes inconséquences. Ne donnez pas ce prétexte à nos ennemis. D’ailleurs, le mariage de votre sœur vous oblige à des démarches indispensables. Richelieu va venir avec le duc de Lauraguais, qui est impatient de vous être présenté. Les ordres sont donnés pour dresser le contrat, et j’ai fait prévenir la duchesse de Lesdiguières qu’il serait signé chez vous.

— Elle n’y viendra pas, Sire, et cette injure rejaillira sur ma sœur.

— Quand madame de Lesdiguières aura pris connaissance du contrat, elle viendra, vous dis-je. Le mariage fait, c’est vous qui présenterez la duchesse de Lauraguais.

— Mais, madame de Mailly, sa tutrice, madame de Lesdiguières, qui l’a élevée, revendiqueront leurs droits.

— C’est possible ; mais madame de la Tournelle, qui la dote et la marie, la présentera : tel est notre bon plaisir.

— Ce bon plaisir est un tyran auquel il faut obéir sous peine…

— De m’affliger, interrompit le roi en posant ses lèvres sur le cou éblouissant de madame de la Tournelle, et Marianne ne voudrait pas, ajouta-t-il, altérer par le moindre chagrin un bonheur qui n’a pas d’exemple sur la terre.

— Il faudra donc toujours céder à votre volonté ?

— Cela vous réussit assez bien, vraiment ; vous n’aviez en moi qu’un adorateur, un ambitieux d’amour, un fou décidé à mourir ou à vous posséder, cela se rencontre partout. Aujourd’hui vous régnez sur un être tout à vous, pour qui vous avez créé une existence, une félicité inconnues, vous pouvez à votre gré flétrir son âme ou la rendre capable des plus grandes actions ; l’anéantir ou l’immortaliser ; enfin, le sort du roi, les destinées de la France dépendent de vous. Cet empire, ô mon ange, tu le dois à mon bonheur ; il m’a révélé le ciel, je reconnais sa puissance ; mais tu n’en useras jamais contre notre amour, n’est-ce pas, ce serait un sacrilége. Ah ! crois-le, on n’aime autant que par la volonté de Dieu.