Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/225

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— En vérité, je n’en répondrais pas, si vous le vouliez bien… mais, en attendant, il faut que vous me promettiez de ne plus lui écrire.

— Je vous le promets.

— Ce n’est pas tout, vraiment, j’ai cent choses raisonnables à vous dire et que par conséquent j’oublie auprès de vous : d’abord le pauvre cardinal est un peu mieux, il prétend que le plaisir de me voir l’a ranimé ; mais sa faiblesse et son âge ne laissent point d’espérance ; seulement il s’éteindra sans souffrir, et lors même que les soins de Vernage[1] nous le conserveraient encore quelque temps, il ne serait plus en état de reprendre les affaires. J’ai promis d’aller bientôt le revoir ; j’irai malgré tout le mal que m’a causé la visite de ce matin. Mon Dieu ! que j’avais besoin de me retrouver près de vous ! La reine ayant appris que je revenais d’Issy, m’a fait demander des nouvelles du cardinal : c’était me prier d’aller lui en donner moi-même. J’ai passé dans son appartement ; elle était avec madame de Luynes et madame de Lesdiguières ; vous voyez d’ici leur mine prude, leur air guindé ; je m’attendais à être mal reçu de la reine, mais elle a été bonne et simple comme à l’ordinaire ; je crois qu’en dépit de leurs méchants caquets, elle vous accueillera bien.

— Ah ! si vous m’aimez, Sire, n’exigez pas que je reparaisse aux yeux de la reine ; laissez-moi vivre renfermée dans cet appartement, uniquement occupée du bonheur de vous y attendre, de vous y recevoir. Songez qu’ici je suis à l’abri des reproches, des humiliations, des injures ; que, rien n’y vient troubler ma joie d’être aimée ; que depuis que cette joie enivre mon cœur, toutes les misérables vanités du monde me sont devenues odieuses : Louis et sa gloire, voilà les seules pensées qui me captivent : je ne veux en être distraite ni par les tracasseries ni par les plaisirs de la cour.

— Que ces paroles sont douces ! et que je voudrais aussi me soustraire à ce monde méchant pour me consacrer tout entier à ce que j’aime ! Mais cela ne nous est point permis, chère Marianne, il faut que je cède aux lois de l’étiquette, aux usages imposés par le temps et mes prédécesseurs ; esclave de tant d’insipides devoirs, que deviendrais-je si

  1. Premier médecin du roi.