Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/23

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car moins elle se sentait disposée à répondre à son amour, plus elle formait le projet de s’attacher à lui comme à l’ancre de salut qui devait la sauver d’un grand naufrage. Le duc d’Agenois aimait trop vivement pour n’être pas dupe de la manière gracieuse dont il fut accueilli ; et puis madame de la Tournelle était de si bonne foi dans son désir de l’aimer !

Cependant une curiosité dont elle se faisait bien quelques reproches la dominait ; et lorsque le duc de Richelieu s’approcha de la table où elle parfilait des galons d’or, selon la mode de ces temps :

— C’était vous, n’est-ce pas ? dit-elle.

— Mais, oui et non, cela dépend de ce que vous en devez penser.

— Quelle folie ! ma pensée ne peut changer le fait.

— Eh bien, quand vous saurez que nous étions là depuis un quart d’heure à vous contempler, à nous attendrir sur les larmes que vous versiez pour une sœur qui ne vous aimait pas, et que je voyais cette sympathie de regrets arriver petit à petit à une autre sympathie, en serez-vous plus avancée ? Avec vos idées ridicules, à quoi bon vous parler de cela ?

— Je ne vous comprends pas, répondit-elle avec tout l’embarras d’une personne qui ment.

— Ah ! je ne demande pas mieux que de m’expliquer, reprit le duc, bien que cela me semble assez inutile, car vous savez très-bien avec qui j’étais, et qu’il n’y a qu’une seule personne au monde que je ne puisse quitter pour vous offrir mon bras : maison nous écoute, et madame de Mazarin, qui redit tout à la reine, m’intimide.

— Je ne crains pas pour ma part qu’elle lui répète ce que je pense, dit madame de la Tournelle avec dignité.

— Croyez-moi, le plus sûr est qu’elle n’en sache rien. Qui peut répondre de ce que l’amour d’un roi doit produire ? ajouta-t-il à voix basse.

— L’amour d’un roi… c’est la mort, vous le voyez bien, reprit-elle d’un ton sinistre et en montrant ses vêtements de deuil.

— Et cette mort vous effraye ?…

— Bien moins qu’une vie dégradée.

— Ah ! tout n’est pas honte dans le bonheur d’être aimée