Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/22

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son nom. Elle se lève ; trois hommes couverts de longs manteaux sont appuyés sur la grille de la chapelle, elle ne peut sortir sans passer au milieu d’eux. Une crainte involontaire l’arrête ; son cœur bat avec violence ; elle rabat sur ses yeux le capuchon de son mantelet de dentelle, et appelle d’une voix tremblante ses domestiques qu’elle a laissés dans l’église.

— N’ayez pas peur, madame, dit un des trois hommes, on n’insulte pas ce qu’on admire.

Et, faiblement rassurée par ces mots, elle sort précipitamment de la chapelle, va rejoindre ses gens et revient chez sa tante, l’esprit fort troublée de cette singulière rencontre.

Il lui semble avoir reconnu la voix du duc de Richelieu dans celle de l’homme qui lui a parlé. Mais si c’était lui, pourquoi ne lui aurait-il pas offert la main pour la conduire à sa voiture ? Ne pouvait-il quitter un instant ceux qui étaient avec lui ? Était-ce par devoir qu’il l’avait ainsi abandonnée ? Toutes ces réflexions agitaient vivement l’esprit de madame de la Tournelle, et la conduisirent naturellement à supposer que le roi était l’un de ces trois hommes qui lui avaient causé, sans le vouloir, une si grande frayeur.

Elle résolut d’éclaircir ce soupçon en questionnant M. de Richelieu la première fois qu’elle le rencontrerait. L’occasion s’en présenta bientôt ; il venait le lendemain chez la duchesse de Mazarin avec son neveu, le duc d’Agenois, nouvellement arrivé de l’armée, et l’un des jeunes gens de la cour les plus distingués par leurs agréments et leur caractère. M. de Richelieu, en véritable oncle de comédie, ignorait la passion que le duc d’Agenois nourrissait depuis longtemps pour madame de la Tournelle. Cette passion, qui datait du temps où le marquis de la Tournelle, son camarade d’armes, l’attirait souvent chez lui, n’avait jamais été encouragée par celle qui en était l’objet ; et M. d’Agenois, ne doutant pas de la sagesse qui s’opposait à son bonheur, était parti dans la résolution d’étouffer un sentiment sans espoir. Mais la mort du marquis de la Tournelle avait ranimé cet espoir, et il revenait avec la confiance d’un homme que son rang, sa fortune, ses avantages personnels et son amour doivent mener au succès.

Madame de la Tournelle ne le revit pas sans émotion ;