Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/254

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chat, attendre après que le roi m’aura fait demander ? Savez-vous bien que moi, qui ai dit la bonne aventure à plus d’un colonel, et à des comtesses même, je m’en vante, je me sens toute je ne sais comment, de penser que je vais parler au roi, qu’il va me donner sa main, ni plus ni moins que vous, ou ce monsieur, ajouta-t-elle en montrant Louis XV qui clignait d’un œil comme s’il avait la vue basse, moyen très-ingénieux pour déguiser ses yeux et la beauté de son regard, connu et cité par tous les gens du peuple qui l’avaient seulement aperçu.

— Non pas, vraiment, il faut nous expédier tout de suite, dit madame de Lauraguais, sinon, il n’aurait qu’à prendre au roi le caprice de nous voir danser ce soir avec les paysans, pour faire honneur à cette petite délurée qu’il lui plaît de marier à son amoureux, et nous n’aurions plus le temps de rien savoir.

— C’est juste, dit Lebel, allons, madame Barget, voici une table, un tapis, des cartes…

— Des cartes ?… reprit la sibylle, pensez-vous que je me serve de vos cartes ?… Ces figures-là, c’est bon pour jouer à la mouche, voilà tout ; il me faut des cartes parlantes pour dire la vérité des choses, et ces cartes-là ne se trouvent pas ici… je les porte toujours avec moi.

— Je crois, Dieu me pardonne, qu’elle nous lance des épigrammes, dit le roi.

— Par qui va-t-elle commencer ? dit madame de Châteauroux.

— Par moi, répond madame de Lauraguais, vous jugerez mieux de son savoir faire ; mais voyez comme elle est distraite, elle ne prend pas seulement la main que je lui présente ; l’idée de parler au roi lui tourne la tête, elle ne saura pas un mot de ce qu’elle nous dira, à nous autres bons bourgeois.

— N’ayez pas peur, reprit la vieille, je sais l’affaire du roi par cœur.

— Ah ! vous n’avez pas besoin de voir les gens, à ce qu’il parait, pour connaître leur destinée, dit Louis XV.

— Pardine ! tout le monde n’est pas connu comme le roi de France, peut-être bien ; allez, je ne l’ai vu qu’une fois quand il a passé en revue le régiment de mon garçon, mais je suis bien sûre de le reconnaître tout de suite entre mille.