Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un regard brûlant ; enfin je suis certain de ce que j’avance ; ce qui n’empêchera point la belle veuve d’épouser mon neveu. Car ce qu’elle veut avant tout, c’est se créer un devoir de plus, une barrière que sa vertu croie infranchissable.

— Ce sacrifice vertueux n’est pas fort méritoire ; se livrer à l’amour d’un homme fort aimable, qui doit faire bientôt oublier tous les autres, le grand malheur !

Le roi dit ces derniers mots avec une sorte d’amertume qui n’échappa point à M. de Richelieu ; mais il se garda bien d’avoir l’air de s’en être aperçu. Il était averti que Louis XV, savant dans l’art de cacher sa pensée, détestait ceux qui s’obstinaient à la deviner, et il ne reparla plus du mariage de son neveu.

Deux jours après, le duc d’Agenois reçut l’ordre de retourner à l’armée.

Lorsqu’il vint, pâle, les larmes aux yeux, faire ses adieux à madame de la Tournelle, il la vit plus étonnée qu’affligée de son départ Un ordre si brusque, qu’aucun événement ne motivait, lui sembla le résultat d’une intrigue contre le duc d’Agenois ; elle accusa les ennemis que lui avait suscités l’affaire de son duché-pairie de l’avoir emporté cette fois sur le crédit de son oncle.

— Je l’ai pensé comme vous, dit le duc d’Agenois ; mais mon père, qui se croit bien instruit, affirme que cet ordre est un pur caprice du roi ; il en donne pour preuve qu’aucun autre colonel en ce moment en congé n’a reçu un pareil ordre. C’est une faveur toute particulière dont je me souviendrai… Ah ! si je vous connaissais moins… mais pardonnez-moi cette affreuse idée… le désespoir de vous quitter pouvait seul la faire naître.

Et cette idée plongeait déjà le cœur de madame de la Tournelle dans un trouble inexprimable. Elle se reprochait en vain l’espèce de joie qui se mêlait aux regrets de se voir séparée de son protecteur contre elle-même. Elle allait jusqu’à soupçonner M. de Richelieu d’une ruse infernale ; et dans son indignation de se croire l’objet d’une intrigue de cour, elle formait le dessein de se retirer au couvent pendant tout le temps que durerait l’absence du duc d’Agenois.

Cette résolution enchanta M. d’Agenois, car il était loin