Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

craint de trahir une arrière-pensée. Tout cela s’accorde peu, j’en conviens, avec l’abandon où il vous laisse depuis trois mois ; mais son caractère est un composé de contrastes dont on ne saurait prévoir les effets ; lui-même est combattu par tant de sentiments opposés, il ignore peut-être autant que nous celui qui doit l’emporter.

Avec quelle avidité madame de Châteauroux écoula les moindres détails de la conduite du roi ! et qu’elle passa vite du découragement aux illusions les plus enivrantes pour retomber ensuite dans la vague et l’accablement. Elle adresse une foule de questions à M. Duverney dans l’espoir qu’il répondra à la seule qu’elle n’ose articuler. Il la devine enfin, et raconte sans affectation les vains efforts de la duchesse de Boufflers et de madame de Maurepas pour fixer l’attention de Louis XV sur quelque objet nouveau ; comment on a fait partir une jeune et belle personne pour Strasbourg, avec l’injonction de se trouver sur le passage du roi, à l’église, au spectacle, enfin dans tous les endroits où on le fêterait pendant la route. Lebel, ajouta-t-il, a reçu plusieurs propositions à cet égard ; et c’est lui-même qui m’a dit à Châlons que toutes ces tentatives n’avaient point encore obtenu de succès, lui qui, par sa place est si souvent possesseur du secret du roi, ne comprend rien à la dissimulation dont il use, même avec lui ; seulement, un jour qu’il l’avait chargé de savoir des nouvelles de l’enfant de madame de Vintimille, Lebel vint lui dire que le jeune comte du Luc avait passé la nuit dans les convulsions. « Ah ! grand Dieu ! s’est écrié le roi, ils l’auront empoisonné comme sa mère… ! Tu le verras Lebel, ajouta-t-il d’une voix concentrée, ils tueront tout ce que j’aime. » Alors, se laissant tomber dans son fauteuil, il cacha sa tête dans ses mains, garda le silence, et ne sortit de sa sombre rêverie qu’à l’arrivée du comte de Maurepas.

— Ah ! pourquoi ne m’ont-ils pas frappée comme elle au temps de mon bonheur ? dit madame de Châteauroux ; je n’aurais pas connu cette longue agonie où l’abandon me livre ; je l’aurais vu me pleurer, j’aurais emporté au tombeau l’idée si douce que la mort seule pouvait nous séparer ; mais non, le Ciel est sans pitié pour moi, il sait que je ne dois plus espérer, et il m’aveugle par un éclair d’espérance pour prolonger ma torture ; il fait de ma jeunesse, de