Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/34

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me donne un air coupable ; et pourtant le ciel sait les seuls projets que je forme, et mon sincère désir de me mettre pour jamais à l’abri des intrigues de cour !

— Résolutions vaines, reprit M. de Richelieu ; quand on est appelé par sa naissance, par son rang, à vivre à la cour, on ne peut s’en éloigner sans affectation et sans regret. Chaque plante a besoin du terrain qui convient à sa nature ; quand vous irez végéter en province, dans quelque vieux château, vous n’en serez pas moins exposée aux propos malins : on vous plaisantera sur un voisin de campagne, ou sur votre régisseur même. En vérité, il vaut tout autant l’être à propos du roi.

— Non, plus j’y réfléchis, plus je me sens incapable de plier mon caractère aux usages de ce monde à part, où tout sentiment de fierté, de franchise, doit se cacher comme un crime ; où, par la seule raison que le maître daigne jeter les yeux sur une femme, il faut qu’elle lui sacrifie son honneur, sa vie, et, plus que cela encore, son sentiment pour un autre ! Je n’ai pas tant d’héroïsme ou de complaisance, je l’avoue : deux faiblesses de ce genre m’ont seules paru excusables : je conçois qu’on fasse céder tous ses scrupules pour recommencer Agnès Sorel ou madame de la Vallière ; mais il faut trouver un cœur sensible à la gloire ou à l’amour pour jouer de pareils rôles ; et tous les autres me semblent méprisables.

— Pourquoi ne seriez-vous pas l’une comme l’autre ?

— Parce que votre auguste ami ne ressemble ni à Charles VII ni à Louis XIV.

— Qu’en sait-on ? A-t-il eu l’occasion de prouver sa valeur, et la femme qui mérite d’être passionnément aimée, L’a-t-il rencontrée ? Ne vous pressez donc point de le juger en ennemi ; moi qui le connais, moi qui le sais brave, spirituel, et plus occupé qu’on ne le croit du bonheur de ses sujets, je déplore souvent, comme vous, l’influence qu’il laisse prendre à tant de gens médiocres ; mais c’est parce qu’on ne peut parvenir à sa raison qu’en passant par son cœur, que je voudrais voir ce cœur en bonnes mains. Sans ce motif tout français, pensez-vous que je vous dirais autant de bien de lui par simple complaisance ? Vraiment non, je rougirais de faire un semblable métier ; et, grâce au ciel, mon crédit n’est pas établi comme celui de Meuse sur un tel