Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/33

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eue, et que le moindre soupçon d’un sentiment coupable lui enlèverait cette amitié sans retour. Saisie tout à coup d’un effroi de conscience, elle répond que, se sentant fort souffrante, elle compte se faire saigner le lendemain, et qu’elle va en prévenir le duc de Richelieu pour qu’il fasse agréer ses excuses au roi.

L’expression d’estime et d’approbation qui se peignit sur le visage de madame de Lesdiguières, en écoutant cette réponse, ne laissa aucun doute à madame de la Tournelle sur les bruits de cour qui étaient parvenus à la duchesse ; elle se félicita du parti qu’un excès de prudence lui avait suggéré. Le duc de Richelieu, qui survint quelques moments après, parut étonné du refus de madame de la Tournelle, car on n’en faisait guère de cette espèce : à moins d’être mourante, aucune femme ne se dispensait d’une invitation royale ; mais il se garda bien de dire un mot qui pût trahir son blâme : il attendit que tout le monde fût parti.

— Y pensez-vous, ma chère nièce (nom d’amitié qu’il lui donnait depuis son enfance, et que le projet de mariage du duc d’Agenois semblait devoir bientôt légitimer) ; y pensez-vous, dit-il, prétexter une maladie imaginaire pour vous soustraire à une attention aussi flatteuse qu’honorable ; car le voyage est composé de tous les collets montés de la cour, et il n’est pas de prude qui ne fut très-honorée d’en être.

— Je n’en doute pas, reprit madame de la Tournelle, mais, vrai, je suis malade.

— Non, vous êtes un peu folle, et voilà tout.

Elle ne put s’empêcher de sourire en entendant traiter de folie un sacrifice à la raison.

— Si vous inventez tout cela pour vous faire mieux aimer, ajouta le duc, je n’ai rien à dire ; mais, prenez-y garde cependant, le dépit que vous allez provoquer en vous refusant à cette invitation peut tourner au profit d’une autre personne, et, je connais le cœur féminin, vous ne verrez pas plus tôt le roi occupé de…

— Par grâce, mon cher oncle, interrompit madame de la Tournelle avec une vive impatience, ne me parlez pas ainsi du roi ; ce sont tous ces discours, fondés sur rien, qui me troublent l’esprit et gênent ma conduite à un point insupportable. J’en éprouve une telle contrainte que cela