Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/50

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sans affectation, des personnes qui ont été vues depuis l’heure du dîner dans les corridors de cette partie du château. Elle apprend qu’un page du roi y a passé, si rapidement qu’on n’a pas eu le temps de le reconnaître ; elle s’empresse de venir communiquer cet avis à madame de la Tournelle, qui répond en rougissant :

— Il suffit. Je vous ai dit que la princesse devait m’envoyer ce bouquet.

Et, tout en mentant à sa pensée, elle cherchait à se persuader qu’en effet une des personnes qui l’avaient entendue l’autre soir parler de sa préférence pour l’héliotrope pouvait seule être l’auteur de cette galanterie. Quant au page du roi, ce n’était point un indice ; il en venait sans cesse de ce côté du château : les fils des femmes de la cour commençant presque toujours par être pages.

À force de se persuader ce qu’elle voudrait désirer, madame de la Tournelle décide qu’elle va se parer du bouquet qu’elle doit au soin de l’amitié. Cependant sa main tremble eu l’attachant à son côté, l’épingle qui doit le fixer pique ses jolis doigts, le sang coule ; de ce petit malheur elle fait un présage, et son front se couvre d’un nuage de tristesse. Elle hésite à se rendre dans le salon où madame de Flavacourt vient d’entrer, et frémit de la suivre dans les grands appartements, comme si elle cherchait à fuir un destin fatal, mais irrévocable. On dirait que l’avenir se déroule à ses yeux d’abord éclatant, joyeux, puis douloureux et funèbre ; elle voudrait jeter au loin sa parure, arracher ce bouquet qui lui brûle le sein ; elle souhaite que le ciel secourable la frappe en ce moment même, avant d’affronter le péril qu’elle redoute ; mais on vient la tirer subitement de cette rêverie sinistre. Sa sœur est là qui l’attend. Elle va la joindre, et, quelques minutes après, toutes deux sont assises dans la salle de spectacle, aux places réservées pour les femmes de la maison de la reine.

Elles sont sur le premier rang, en vue de la loge du roi. Madame de la Tournelle ne peut lever les yeux sans les porter de ce côté ; mais il n’est point encore arrivé : elle respire. Ces moments d’attente où l’on s’examine mutuellement, où l’on cause librement avec ceux que l’étiquette place près de vous, où l’on questionne, l’on médit, madame de la Tournelle les passe à raisonner son émotion dans l’es-