Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/51

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pérance d’en triompher ; elle cherche à se prouver que l’espèce de fièvre qu’elle ressent est l’effet d’un grand mal de nerfs. Elle se persuade que le plaisir de voir Zaïre jouée par la railleuse mademoiselle Gaussin va la captiver tout entière, et qu’enfin l’impression qui la domine tient seule à la pompe de ce spectacle imposant.

Mais le bruit des siéges que l’on arrange dans la loge du roi suspend toutes les conversations. Chacun se lève. Un gentilhomme de la chambre, vêtu d’un riche habit brodé, porte les flambeaux croisés et précède le roi. C’est l’auteur de Zaïre. C’est Voltaire lui-même.

À sa vue, le public de cour a besoin de se rappeler les lois de l’étiquette pour ne pas éclater en applaudissements ; car il venait de faire imprimer Mahomet, et la lecture des beaux vers semés avec profusion dans cet ouvrage, la hardiesse du sujet, la nouveauté de l’exécution, inspiraient l’enthousiasme de tous ceux qui en avaient fait la lecture. Le roi n’ignorait point le succès que cette tragédie venait d’obtenir à Lille, où il y avait une fort bonne troupe dirigée par Lanoue, auteur et comédien, et par mademoiselle Clairon, devenue depuis si célèbre. Cette représentation à Lille avait eu d’autant plus d’éclat, qu’un courrier prussien était venu apporter dans un entr’acte, à l’auteur, une lettre de Frédéric II. Cette lettre lui apprenait la victoire de Molvitz. Voltaire l’avait lue à l’assemblée. On avait battu des mains ; et il avait dit : « Vous verrez que cette pièce de Molvitz fera réussir la mienne[1]. » Ces détails communiqués à Louis XV par le cardinal de Fleury, avaient été présentés sous un jour très-défavorable. L’ouvrage, dénoncé comme dangereux, contraire aux intérêts de la religion, trouvait de grandes difficultés à être représenté à Paris. C’était pour solliciter cette représentation et défendre sa pièce contre les attaques de certains prêtres, que Voltaire avait quitté Bruxelles pour se rendre à Versailles.

Le roi lui promit justice et protection, et Mahomet finit par être joué à Paris. Mais Louis XV, jaloux et blessé de la préférence fastueuse de M. de Voltaire pour le roi de Prusse, et de son affectation à louer les exploits et la prétendue philosophie de Frédéric II, lui gardait un sentiment de ran-

  1. Voltaire, Commentaires historiques.