Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pendant ce temps, les courtisans, que leur charge ou leur plaisir attiraient chaque matin au château, discouraient entre eux, plus occupés de la conversation qu’ils ne pouvaient entendre que de la leur, et tenaient leurs regards attachés sur le poète et le ministre.

— Tous êtes donc décidé à nous quitter encore, disait le marquis, vous retournez à Bruxelles ?

— Que voulez-vous, monsieur le marquis, il le faut bien ! Je regrette assez que mes ouvrages ne soient imprimés que chez l’étranger et soient de contrebande dans ma patrie. En vérité, je ne sais par quelle fatalité, n’ayant jamais parlé ni écrit qu’en honnête homme et en bon citoyen, je ne puis parvenir à jouir des priviléges qu’on doit à ces deux titres[1]. Vous en pouvez juger par ce commencement du siècle de Louis XIV inséré dans le recueil de Prault. C’est l’ouvrage d’un homme très-modéré. J’ose dire que dans tout autre temps une pareille entreprise serait encouragée par le gouvernement. Louis XIV donnait six mille livres de pension aux Valincourt, aux Pélisson, aux Racine et aux Despréaux, pour faire son histoire, qu’ils ne firent point ; et moi je suis persécuté pour avoir fait ce qu’ils devaient faire. J’élevais un monument à la gloire de mon pays, et je suis écrasé sous les premières pierres que j’aie posées. Enfin je suis en tout un exemple que les belles-lettres n’attirent guère que des malheurs… Ah ! si vous étiez à leur tête, je me flatte que les choses iraient en peu autrement[2].

— Vous n’auriez pas plus de succès, répondit M. d’Argenson ; mais on ne vous forcerait pas d’aller vous faire imprimer à Bruxelles. N’importe ! prenez patience, le cardinal se fait vieux : après lui, la république des lettres recouvrera sa liberté.

— Si je pouvais me flatter de vivre assez pour voir ce beau jour, je voudrais écrire une histoire de France à ma mode. J’ai une drôle d’idée dans la tête ; c’est qu’il n’y a que des gens qui ont fait des tragédies qui puissent jeter quelque intérêt dans notre histoire sèche et barbare. Mézerai et Daniel m’ennuient, c’est qu’ils ne savent ni peindre ni

  1. Lettre à M. d’Argenson. (Correspondance générale, tome III.)
  2. Lettre II, au même, tome III.