Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/71

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Mailly ; que madame de Carignan fera tonner le vieux cardinal contre vous : que Maurepas chantera victoire en mauvais petits vers, et que le roi, assourdi par les cris de tant de voix ennemies, se laissera peut-être…

— Eh bien, qu’il cède ou non aux clameurs de ces dames, qu’il adopte les calomnies inventées par ses ministres pour éloigner de lui tous ceux qui pourraient lui faire parvenir la vérité, peu m’importe, je ne veux pas entrer en lice ; ce n’est point la crainte du combat qui m’arrête, vous connaissez mon courage, vous savez si je sais braver la méchanceté et mépriser l’intrigue ; mais, pour conserver ce courage, il faut être fort de sa propre estime, et ne pas courber son front au souvenir d’une action coupable. C’est pourquoi je veux fuir ce séjour de corruption et faire cesser tant de propos injurieux, tant de suppositions calomnieuses. Si je n’avais pas craint de me donner un ridicule aux yeux du roi lui-même, qui ne m’a jamais parlé que de choses indifférentes, je me serais déjà retirée au couvent où j’ai été élevée ; mais on ne manquerait pas de dire que je me donne des airs de la Vallière, et la troupe des chansonniers de M. de Maurepas s’exercerait bientôt sur ce beau sujet. Je préfère donc avoir recours à vous, mon cher mentor, pour me donner un moyen de me soustraire à toutes ces menées, sans éclat, sans même laisser soupçonner le parti que je vais prendre ; car Plaisance est une habitation que vous avez rendue si ravissante, et vous en faites si bien les honneurs, qu’on trouvera fort simple de me voir quitter Versailles pour y aller passer le reste de la saison.

— Je n’en suis pas bien sûr, madame, reprit en souriant M. Duverney : ici, rien ne parait simple ; mais enfin vous le désirez, et mes observations vous ayant été soumises, il ne me reste plus qu’à vous obéir. C’est demain jour de conseil, si cela vous convient, je passerai ici en sortant de chez le roi, et j’aurai l’honneur de vous conduire à Plaisance. Savez-vous bien, ajouta-t-il, tout ce que j’affronte en vous emmenant ainsi ?

— Ne craignez rien ; tant de gens vous sauront si bon gré de mon absence !

— Oui ; mais celui qui s’en affligera ?

— Ah ! celui-là oublie si vite, dit madame de la Tournelle en soupirant.