Page:Nichault - Une aventure du chevalier de Grammont.djvu/10

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MERVILLE.

Vraiment il est permis d’en devenir jaloux.
On vante à chaque instant sa grâce naturelle,
Sa gaîté, son esprit ; enfin c’est un modèle
Que l’on doit imiter si l’on veut réussir ;
Mais qui pourrait si bien et flatter et mentir ?

LA MARQUISE.

Sur ce point, il est vrai, son adresse est extrême,
Et si l’amant flatteur était celui qu’on aime,
Je plaindrais votre sort ; mais vous ne savez pas
Que parfois un grondeur a pour nous plus d’appas,
Et qu’à ces doux propos dictés par l’imposture
Nous préférons souvent une sincère injure.

MERVILLE.

Delphine, croyez-moi, pense différemment.

LA MARQUISE.

L’esprit du Chevalier l’a séduite un moment.
D’un hommage éclatant, sa jeunesse étonnée
À le bien accueillir fut sans doute entraînée.
Se voir, à dix-sept ans, l’objet des tendres soins
Du héros de la cour, en avoir pour témoins
Cent femmes dont le cœur aspirait à la gloire
De voir leurs noms cités dans sa galante histoire,
L’emporter à leurs yeux !… Un triomphe si beau,
Des plus sages vraiment troublerait le cerveau.
Mais je connais Delphine, et je puis vous promettre
Qu’aux lois d’un tel amant bien loin de se soumettre,
Elle résistera sans efforts à ses vœux.
N’a-t-il pas des défauts qui frappent tous les yeux ?

MERVILLE.

Et voilà justement ce qui me désespère !
Je le craindrais bien moins s’il était plus sincère ;
Mais ce sont ses défauts qui le rendent charmant.
Son cœur froid et léger lui laisse à tout moment
Le loisir d’exprimer, du ton le plus aimable,