qu’il était passionnément amoureux de madame de Verseuil, puisque le seul plaisir de la rencontrer avait la puissance de changer ainsi son humeur. Comme en pareil cas on parle toujours de ce qui intéresse le moins, Gustave entama ainsi la conversation :
— Ce major m’a l’air d’un brave homme ; je m’en étais fait une tout autre idée.
— Vous le croyiez peut-être plus jeune, répondis-je en souriant.
— Mais il n’est pas vieux : quel âge lui donnes-tu ?
— À peu près quarante-cinq ans.
— Ah ! s’il en avait moins, le général Verseuil ne l’aurait pas chargé du soin d’accompagner sa femme.
— Qui sait ! les maris se trompent souvent dans le choix de leurs amis ; et, s’il faut l’avouer, celui-là me semble porter un intérêt bien vif à la femme de son cousin.
— Raison de plus pour la lui confier.
— Comment ! raison de plus ?…
— Sans contredit, monsieur ; les maris ne s’embarrassent guère des gens qui aiment leurs femmes, mais beaucoup de ceux qui peuvent leur plaire ; et les jaloux qui font bien leur métier savent tous qu’il n’est pas de meilleur gardien qu’un amant dédaigné. Essayez de faire votre cour à la pupille d’un tuteur amoureux, et vous verrez si rien lui échappe.
— Bah ! quand on s’entend bien ?
— On s’observe mal.
L’amour le plus discret
Laisse par quelque marque échapper son secret.
— L’intérêt rend prudent, et lorsqu’il s’agit du repos de ce qu’on aime, les sacrifices sont si faciles…
— Oui, lorsqu’ils ne sont plus nécessaires ; mais dans les premiers moments d’ivresse, où l’on ne voit qu’un seul objet au monde…
— Eh bien, l’on redouble de soins pour cacher son bonheur ;