Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/164

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pecter les peuples que vous délivrerez de leurs fers ; c’est de réprimer les pillages auxquels se portent les scélérats suscités par nos ennemis. Sans cela, vous ne seriez point les libérateurs des peuples ; vous en seriez le fléau ; le peuple français vous désavouerait ; vos victoires, votre courage, le sang de vos frères morts en combattant, tout serait perdu, surtout l’honneur et la gloire. Quant à moi et aux généraux qui ont votre confiance, nous rougirions de commander une armée qui ne connaîtrait de loi que la force. Mais, investi de l’autorité nationale, je saurai faire respecter à un petit nombre d’hommes sans cœur les lois de l’humanité qu’ils foulent aux pieds ; je ne souffrirai pas que des brigands souillent vos lauriers.

» Peuples d’Italie, l’armée française vient chez vous pour rompre vos fers ; le peuple français est l’ami de tous les peuples. Venez avec confiance au-devant de nos drapeaux. Votre religion, vos propriétés et vos usages, seront religieusement respectés. Nous ferons la guerre en ennemis généreux : nous n’en voulons qu’aux tyrans qui vous asservissent. »

Jamais je n’oublierai l’effet produit par son éloquence belliqueuse, et sans deviner le but où atteindrait bientôt cet orateur armé, je pressentis que celui qui possédait à un si haut degré le pouvoir d’électriser les hommes, les soumettrait à volonté.

Je faisais part un soir de cette réflexion à un certain lieutenant, qui a joué depuis un très-grand rôle, et il me dit :

Vous seriez encore plus convaincu de sa puissance magique sur les esprits, si vous l’aviez vu comme moi avant nos derniers succès, au moment où un grand nombre de nos soldats se révoltèrent, et vinrent jusque dans sa tente lui déclarer qu’ils ne marcheraient point, à moins qu’on ne leur distribuât sur-le-champ des vivres, des habits et des souliers. Le désespoir qui les avait guidés dans cette démarche, en rendait les suites dangereuses. Et, comme je savais très-bien l’impossibilité où se trouvait Bonaparte de les satisfaire, j’avoue que j’étais fort inquiet de la manière dont il sortirait de cette situation difficile ; lorsque, se retournant d’un air calme et dédaigneux du côté des plus mutins, il leur dit :