Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/19

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mercier de votre extrême obligeance. » La vue de cet équipage interdit un peu notre maire de village ; car son âme républicaine n’était pas à l’abri de l’ascendant du luxe sur la simplicité. Grâce à son peu de rancune, nous nous quittâmes bons amis. Je retournai près de la voiture dans l’intention d’y saluer les autres voyageurs. Tous avaient disparu. J’aperçus seulement à quelque distance notre avocat à moitié étouffé dans les bras d’une grosse femme que je présumai être la sienne. Je me gardai bien d’interrompre de si tendres embrassements, et gagnant la première auberge, j’y défis mon paquet, préparai tout pour ma toilette du lendemain ; et j’affirmerais bien que jamais ambassadeur, la veille de sa présentation, ne fut plus inquiet de son costume, ni de l’effet qu’il devait produire.

     O vanas hominum mentes !



IV

— Qu’on le fasse entrer dit madame de Révanne au domestique qui m’annonçait.

Et je me trouvai dans un immense salon meublé du temps de Henri IV, et décoré d’une tenture dont on ne pouvait reconnaître la véritable couleur qu’à la faveur de larges places d’un rouge cramoisi, autrefois cachées sous des tableaux de famille je ne croyais pas qu’on pût habiter un lieu si gothique sans avoir tout au moins des paniers et un bonnet à bec ; je fus très-surpris d’y trouver une femme vêtue d’une longue tunique blanche, et les cheveux relevés à la grecque. Je crus voir Aspasie dans le fauteuil de Gabrielle d’Étrées. J’avoue que la beauté de ses traits, la noblesse de sa taille, me firent tant d’illusion, que ne pouvant lui supposer un fils de dix-huit ans, je lui dis d’un ton très-naturel, en m’excusant de l’avoir dérangée :

— Je désirais parler à madame de Révanne, madame ; j’ai une lettre à lui remettre.