Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/190

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Docile à cet ordre, Stephania prit sa guitare, et chanta les regrets d’une amante abandonnée avec un accent si plaintif et si pénétrant, que tous les cœurs en furent attendris. En écoutant ce nocturne enchanteur, Gustave avait plus d’une fois retenu ses larmes, et Stephania, qui s’était aperçue de l’effort qu’il faisait pour cacher son émotion, s’était levée pour venir lui dire tout bas :

— Puisque cette romance vous émeut si tendrement, si vous m’abandonnez jamais, je reviendrai vous la répéter du fond de mon tombeau.

Cette menace, faite en fiant, fit tressaillir Gustave. Il voulut y répondre par des plaisanteries, et laissa entendre que si quelque événement venait à rompre sa chaîne, elle serait bientôt ressaisie par un esclave plus digne de la porter, et mille gentillesses de ce genre qui brisent les cœurs passionnés. Celui de Stephania s’affligea d’une supposition que son empressement à satisfaire les désirs de Gustave pouvait autoriser, et ses yeux se remplirent de larmes. À l’aspect d’une impression si douloureuse, Gustave sentit son âme frappée d’un sinistre pressentiment. Pour la première fois, l’idée des maux qu’il pouvait causer à cette belle personne effraya son imagination, et, déjà tourmenté d’un remords inutile, il tenta de rassurer Stephania par la promesse d’un dévouement sans bornes. Comme il était de bonne foi dans le dessein de lui épargner tous les chagrins qui dépendraient de lui, elle crut à ses assurances, et reprit assez de calme pour s’occuper un peu des gens de sa société. Mais la première atteinte était reçue, et, dès ce moment, Stephania, poursuivie par un vague soupçon, ne retrouva plus cette douce confiance qui naît du bonheur de ce qu’on aime. Gustave avait éprouvé un sentiment dont elle ignorait la cause. Elle savait seulement que cette impression lui était étrangère ; c’en fut assez pour l’alarmer. En amour, nous avons le droit d’être jaloux de tout ce qui n’est pas notre ouvrage.

Dans la situation où se trouvait mon maître, je crus nécessaire de l’engager à surmonter des scrupules qui lui donnaient un air coupable.

— Pourquoi tant s’inquiéter ? lui dis-je ; nous n’avons sû-