Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/191

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rement pas longtemps à rester ici. Le général en chef n’est pas homme à se reposer sur ses lauriers, et le jour où il faudra tout quitter pour le suivre ne vous tirera que trop tôt d’embarras. D’ici là, faites bonne contenance, et ne prenez pas l’attitude d’un criminel entre deux juges. Qu’avez-vous à redouter de leur injustice ? Vous avez accepté de l’une ce que l’autre ne vous donnait pas, et vous ne pouvez abandonner en entier à madame Rughesi un cœur déjà soumis à madame de Verseuil. Ainsi, de quoi se plaindraient-elles, si vous restez également fidèle à ce que vous leur devez ?

— Sans doute, répondit Gustave, satisfait des mauvaises raisons que je lui fournissais ; c’est un enfantillage de s’alarmer ainsi, et l’on se moquerait de moi, si l’on me surprenait un instant dans cette crainte ridicule d’être trop adoré. Tu as mille fois raison, il faut traiter tout cela gaiement, et ne pas laisser supposer que j’y attache tant d’importance. Tu dis que madame de Verseuil se disposait à rendre ce matin une visite à madame Rughesi ? Eh bien, je veux être témoin de cette entrevue ; je suis certain qu’elle dissipera toutes ces craintes chimériques. Cependant, il ne serait pas mal à toi de voir mademoiselle Julie, et de l’empêcher de bavarder avec les femmes de chambre de Stephania.

— Ah ! monsieur, vous en demandez beaucoup, et mon crédit ne saurait aller jusque-là ; d’ailleurs, la recommandation serait déjà une confidence. Tout ce que je puis faire pour vous, c’est d’occuper Julie de manière à ne pas lui laisser l’envie de chercher d’autre société que la mienne.

— Va, je t’en saurai bon gré, et pense qu’elle n’en aura pas moins de reconnaissance.

Cet entretien avait ranimé l’esprit de Gustave ; il entra avec assurance dans le salon où se trouvaient réunies Athénaïs et Stephania. Lorsqu’on l’annonça, elles causaient ensemble ; et son arrivée, sans interrompre madame de Verseuil, rendit Stephania muette. Après les avoir saluées toutes deux sans affectation, Gustave alla se mêler au groupe d’hommes qui, ramassés dans un coin de la chambre, disposaient à leur gré des destins de l’Europe. Cependant, malgré l’attention qu’il paraissait prêter à leurs discussions politiques, il jetait