Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/198

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— Et fort ressemblante, répondis-je en souriant.

— Tu l’as donc connue ?

— Non ; mais je la connais.

— Allons, tu plaisantes, reprit Gustave, en attachant son épingle.

Et il s’enfuit précipitamment pour ne pas m’entendre me récrier davantage sur une ressemblance encore plus frappante à ses yeux qu’aux miens. Il ne me fut pas difficile de deviner de qui il tenait cette Sapho antique, dont les traits admirables avaient tant de rapports avec ceux de la belle Stephania. Et, quand je me rappelai que ce don de l’amour, peut-être reçu dans un moment d’ivresse comme un gage du plus doux souvenir, avait failli être oublié par l’ingrat qui le possédait, je ne pus me défendre d’un sentiment de tristesse. Je ne sais quelle superstition s’empara de mon esprit ; mais cette ressemblance dans leur beauté m’en fit craindre une pareille dans leur destinée.

Mon maître m’avait ordonné de rester chez madame Rughesi pour aider aux préparatifs du bal, et je voulus voir, pendant le dîner, comment on supporterait son absence. Stephania, qui avait été prévenue de cette absence par mon maître lui-même, ne me parut pas en souffrir. Elle était sous l’influence d’un bonheur passé depuis si peu d’instants, que l’impression en durait encore ; et sa gaieté douce contrastait avec l’air sombre de madame de Verseuil, qui, loin de partager cette aimable disposition, semblait livrée à de tristes pensées, et répondait à peine aux questions qu’on lui adressait. Le général s’apercevant qu’elle ne mangeait point lui demanda avec anxiété si elle était malade.

— Non, répondit-elle, je suis seulement un peu incommodée de la chaleur.

Alors madame de Rughesi donna l’ordre d’ouvrir les fenêtres, et Athénaïs feignit de se trouver mieux ; mais le moment ; d’après elle retomba dans sa rêverie. Alors le général parla de Gustave, loua sa conduite à l’armée, son dévouement pour ses chefs, ses manières franches, sa gaieté folle avec ses camarades, et son ton respectueux auprès des femmes : à cela, Stephania dit naïvement que c’était le jeune homme le plus aimable du monde ; et madame de Verseuil, tout à coup dis-