Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à dire que cette fête semblait dédiée par la Beauté à la Victoire.

Parmi ces femmes séduisantes, Gustave n’avait point aperçu madame de Verseuil ; trop fière pour confondre son hommage avec celui des Milanaises, elle avait attendu que Bonaparte fût un peu remis de l’émotion que devait lui causer un accueil si brillant pour se présenter à ses yeux. Elle comptait, avec juste raison, sur l’avantage qu’a toujours l’élégance et la grâce françaises sur la beauté de toutes les femmes de l’Europe, et, ne doutant pas de l’effet de son arrivée, elle voulait choisir le moment où aucune distraction ne pourrait y nuire. Par ce calcul, son entrée dans le bal obtint le succès qu’elle en attendait sur tout le monde, excepté sur Gustave. Occupé à former la contredanse que le général Bonaparte devait danser avec madame Rughesi, il ne détourna pas seulement la tête pour voir qui faisait une si vive sensation dans la salle, et, donnant à l’orchestre l’ordre de commencer, il contraignit Bonaparte à interrompre la conversation qu’il entamait avec Athénaïs pour venir prendre la main de Stephania.

Madame de Verseuil devait naturellement s’attendre à figurer dans cette contredanse d’honneur ; mais Gustave, ayant l’air d’ignorer qu’elle fût arrivée, avait invité la cousine de madame Rughesi pour danser avec lui, en face du général, et, les autres places étant prises, Athénaïs en fut réduite à être simple spectatrice de cette contredanse, où elle aurait sans doute joué le premier rôle. Le soin qu’avait pris Gustave pour l’en éloigner ne lui avait pas échappé, et elle se promit d’en tirer vengeance ; mais ce projet fut bientôt déconcerté par l’insouciance apparente de mon maître, qui s’obstinait à ne rien voir des agaceries de madame de Verseuil envers le héros du jour, et à ne pas se mêler à la foule d’adorateurs qui riaient avec tant de complaisance de tout ce qu’elle disait de spirituel ou même d’assez ordinaire. Cependant, s’il avait pu la considérer dans cet accès d’amour-propre, il aurait joui du dépit qui perçait à travers sa gaieté factice, et il aurait deviné sans peine que la douleur de le voir indifférent à ses succès en détruisait le charme. Il y avait dans l’éclat de sa voix, dans ses phrases brèves, dans ses gestes animés, quelque chose de