Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Elle est fort mal, me répondit Gustave d’un air égaré, et je ne sais comment lui annoncer mon départ.

Alors il me montra l’ordre qu’il venait de recevoir du général Verseuil, et par lequel il devait se tenir prêt à le suivre dès le lendemain. Le général, étant parfaitement rétabli, reprenait son commandement, et sa division avait été choisie pour accompagner le général en chef jusqu’à Lodi. Gustave se désolait d’être obligé de quitter la malheureuse Stephania avant de la savoir hors de danger, et frémissait d’ajouter l’absence à tous les maux qu’elle ressentait. Car le mieux, dû aux fréquentes saignées, n’avait pas duré longtemps ; une fièvre violente et le plus affreux délire y avaient succédé. Dans ce délire, Stephania, se croyant encore sur la terrasse d’où elle avait aperçu Gustave aux pieds d’Athénaïs, se précipitait hors de son lit pour aller les frapper tous deux. Elle les accablait de menaces, de noms effroyables ; puis, revenant tout à coup à des sentiments plus tendres, elle suppliait Gustave de lui pardonner ses fureurs, l’approuvait de lui préférer une femme plus douce, et lui rendant grâces du sacrifice qu’il paraissait lui en faire, elle s’écriait :

— Non, je ne veux plus de tes soins, garde ta pitié… Crois-tu me cacher les efforts qu’elle te coûte ? Ne vois-je pas dans tes yeux le regret d’un bonheur que je ne puis te rendre ?… Va, ma mort, cette mort que tu crains, que tu désires, peut seule nous affranchir tous trois… Tu frémis… tu pleures… Cher Gustave… tu voudrais m’aimer… tu sens bien que mon cœur méritait ton amour… que jamais tu n’en obtiendras autant de la coquette qui t’enchaîne… Tu paieras du reste de ta vie le bonheur d’être un seul instant adoré d’elle, comme tu l’es par moi… Mais ne te flatte pas de ce doux espoir… Son âme vaine et légère ne connaîtra jamais le sentiment qui me tue ; elle ne veut que t’asservir, t’enlever à mon amour… et m’arracher la vie. Eh bien, qu’elle soit satisfaite… Va lui dire qu’elle n’a plus rien à craindre de ta générosité pour moi, va lui porter la dernière goutte de mon sang.

En disant ses mots, elle déchirait les bandes qui entouraient ses bras, rouvrait ses veines, et se repaissait du barbare plaisir de voir couler son sang.