Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/210

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fort charitable de sa part. Mais, savez-vous bien, mon cher Victor, ce que ce beau dévouement vous coûtera ?

— Ce n’est pas votre estime, je pense ?

— Non, mais bien mieux. Nous n’aimons pas les gens qui s’intéressent si vivement à d’autres qu’à nous. Retenez cela, et faites-en votre profit.

Je compris très-clairement que cette menace m’annonçait la prochaine rupture de la liaison de Gustave et d’Athénaïs. La lettre que je venais d’apporter m’en donnait le pressentiment. L’état de Stephania, la résolution de mon maître, tout se réunissait pour m’empêcher d’en douter ; et cependant je sentais qu’une seule raison pouvait m’y faire croire, et c’est pour la savoir que je dis à Julie, d’un ton délibéré :

— Eh ! que vous importent nos soins pour un autre, avez-vous pour nous autre chose que de la coquetterie ? et nous croyez-vous assez sots pour accorder à vos petites agaceries plus d’importance qu’elles ne méritent ? ne savons-nous pas bien qu’il n’y a pas l’ombre d’un sentiment dans tout cela ?

— Je l’ai cru comme vous, Victor ; mais depuis quelque temps, ajouta Julie en baissant la voix, j’ai été forcée de changer d’idée. Nous dormons mal, nous mangeons à peine, et nous pleurons souvent. Ajoutez à cela que nous ne savons plus parler que d’une personne, et vous verrez que nous sommes aussi passablement malades.

— Si c’est ainsi, répondis-je, nous ne guérirons pas de longtemps.

Et dès-lors je perdis tout espoir de rupture.

Deux heures après cet entretien, Julie me remit la réponse de madame de Verseuil, en me recommandant de ne la donner à mon maître que lorsqu’il serait seul. Je répondis qu’il était sorti pour toute la journée. C’est ce qu’il m’avait ordonné de dire si l’on venait le demander pendant qu’il serait auprès de Stephania. Bien convaincu qu’il lirait mal à son aise la lettre d’Athénaïs dans la chambre de madame Rughesi, je me gardai de la lui porter, et il ne la reçut qu’en rentrant fort tard le soir.

Avant de lui en parler, je voulus savoir comment se trouvait la malade.