Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/224

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mille, et que les mutins de cette ville sont déjà mis à la raison, dites-lui de venir me rejoindre, demain soir, à Pavie. C’est là que j’aurai besoin de nos plus braves officiers : car il faut encore plus de courage pour punir que pour vaincre.

Après avoir rendu compte de cet entretien au général de Verseuil, Gustave se retira dans la chambre que j’avais retenue pour lui à l’hôtel de Rome. La fatigue et la fièvre l’obligèrent à se mettre au lit. Mais, avant tout, il m’ordonna d’aller m’informer de la santé de madame Rughesi, et de tenter tous les moyens de parvenir jusqu’à elle.

— Si tu la vois, me dit-il, si elle n’a pas déjà succombé au coup affreux que je lui ai porté, peins-lui les remords qui me déchirent ; dis-lui que si je n’obtiens d’elle le pardon de ma barbarie, j’irai m’en punir à ses yeux.

— Calmez-vous, lui répondis-je ; croyez que l’exagération même de votre tort en deviendra l’excuse, et que vous pourrez le lui faire oublier par de tendres soins.

— Non, je l’ai tuée, reprit-il avec l’accent du désespoir ; son cœur si sensible, si dévoué, n’aura pu supporter mes barbares aveux, mes atroces accusations, et il ne me reste plus qu’à la pleurer. Ah ! qu’elle vive pour se venger de mon ingratitude ; qu’elle vive pour me haïr autant que je m’abhorre : c’est l’unique grâce que j’ose demander au ciel.

À toutes ces plaintes inspirées par la crainte et le repentir, j’opposai vainement des paroles consolantes. Les plus saintes affections, les plus chers souvenirs étaient sans puissance sur la douleur de Gustave ; car il n’est pas de consolation pour le malheur dont on s’accuse.



XLVI


Dès que la nuit fut venue, je me rendis chez madame Rughesi, et, présumant bien que la consigne du docteur n’était point levée, je demandai à parler à un vieux serviteur, qui m’avait fort bien traité pendant notre séjour dans la maison. Ce brave homme, appelé Gherardi, avait vu naître sa jeune