Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/223

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au bout de la rue, qu’il me prit le bras avec violence et dit :

— Je suis un monstre ! Elle en mourra !

Puis, revenant sur ses pas, il se précipite vers la porte, veut entrer ; plusieurs domestiques se présentent et lui déclarent que l’ordre vient d’être donné de ne laisser monter personne.

— Dites à madame que c’est moi, leur répond Gustave d’un ton impérieux.

— Ah ! monsieur, elle n’est en état de rien entendre ; et d’ailleurs, le docteur Corona vient de nous défendre expressément de vous laisser pénétrer dans la maison.

En disant ces mots, le domestique referma la porte, et Gustave s’enfuit alors, poursuivi par une ombre vengeresse.

Je le rejoignis auprès de la cathédrale ; il était appuyé sur un des piliers du portail, et, pâle, haletant, il se soutenait à peine. Je l’engageai à s’asseoir un instant sur les marches de l’église, et à se contraindre un peu mieux, car son air égaré nous faisait remarquer de tous les passants.

— Vous ne pouvez, lui dis-je, vous présenter en cet état aux yeux du général en chef ; il croirait que vous venez lui apprendre le massacre de toute l’armée. Ayez plus de courage ; pensez au bonheur que le ciel vient de vous rendre, et croyez qu’il peut aussi vous épargner le malheur que vous redoutez. Pensez surtout que l’intérêt de la patrie veut qu’on lui sacrifie tous les autres, et ne vous laissez point abattre par de vains regrets.

Après m’avoir écouté en silence, Gustave me serra la main, prit un air plus calme, et s’achemina vers le palais.

En l’apercevant, Bonaparte, frappé de l’altération de ses traits, lui dit :

— Je vois que la trahison de ces brigands vous indigne autant qu’elle le doit. Mais, soyez tranquille, la journée de demain nous vengera.

Alors il entra dans tous les détails de la surveillance qu’il voulait qu’on exerçât sur les Milanais, et donna des ordres secrets à mon maître pour être transmis à son général. Ensuite, ayant appris que madame de Verseuil était retrouvée, il ajouta :

— Puisque votre général n’a plus d’inquiétude pour sa fa-