Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/242

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Alors Gustave retomba sur son siége, sans pouvoir proférer un seul mot. Athénaïs s’assit près de lui, et continua :

— Ma présence vous est insupportable ; je l’avais prévu : après m’avoir trompée la première, vous deviez me rendre complice de vos torts envers une autre, et m’accuser de tout ce que vous souffrez aujourd’hui. L’infidélité rend injuste ; mais si j’ai désiré vous parler encore, ce n’est point pour vous accabler de vains reproches, ni ajouter à vos peines en vous parlant des miennes ; c’est encore moins pour vous rappeler le moment de faiblesse qui nous a plongés tous deux dans une situation si pénible. Non, ce coupable sentiment doit être pour jamais abjuré entre nous. Mais, si les malheurs et le repentir qu’il traîne à sa suite suffisent pour nous en garantir, pourquoi la froideur, l’éloignement, nous rendraient-ils étrangers l’un à l’autre ? pourquoi me refuseriez-vous la douceur de partager vos chagrins, de pleurer avec vous sur cette mort qui ne m’afflige pas moins que vous ? Songez que je suis la seule personne au monde à qui vous puissiez parler de Stephania ; la seule qui puisse comprendre le désespoir qui l’a tuée, et les regrets qui vous accablent. Cher Gustave, ne repoussez pas les consolations de ma tendre amitié ; que cette pure affection sanctifie l’intimité qui va nous unir. Acceptez-moi pour sœur ; je vous le demande au nom de votre mère.

— Ma mère !… répéta Gustave, comme frappé d’un souvenir qui l’accusait encore.

— Oui, c’est au nom de cette mère, pour qui vous êtes tout, que je vous supplie de vivre, et de surmonter la douleur que vous vous plaisez à entretenir. Je conçois qu’après tant d’agitations, le bonheur vous soit difficile ; mais celui des êtres qui vous chérissent ne peut vous sembler indifférent, et vous devez bien quelques sacrifices aux sentiments que vous inspirez.

Ces derniers mots furent prononcés à voix basse, et avec la timidité d’une personne qui n’ose faire valoir ses titres. Tant de délicatesse ne pouvait manquer son effet sur le cœur de Gustave. Comment aurait-il dédaigné une fraternité si douce ; comment se serait-il méfié d’une amitié fondée sur de si imposants regrets ; jamais madame de Verseuil ne s’était mon-