Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/263

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En disant ces mots, il se précipite vers moi, et me montre d’un air égaré la fenêtre du pavillon. Le croyant poursuivi par un songe effrayant :

— Réveillez-vous, lui dis-je, et jouissez du plaisir d’entendre une musique ravissante.

— Mais les cris de Gustave avaient fait taire la voix. Alors, revenant à lui :

— Fuyons, dit-il en portant la main sur son cœur. Ces accents, ce nocturne trop bien connu, m’ont rendu à toutes mes douleurs… Elle tient sa promesse… Oui, me disait-elle : « Cette romance qui vous émeut tant, si vous m’abandonnez, je reviendrai vous la chanter du fond de mon tombeau. » Ah ! Victor, quel jour son ombre a choisi pour accomplir sa fatale promesse !

Cette circonstance, fort ordinaire en elle-même, eut cependant la puissance d’empoisonner les plus doux moments de la vie de Gustave. Quel contraste m’offrit son humeur pendant ces deux heures de route ! Dans la première, livré à d’enivrants souvenirs, à de célestes espérances, il souriait sans cesse ; dans l’autre, assailli par le remords, par de tristes pressentiments, il respirait à peine. Ah ! si l’on savait par combien de tourments s’achète un bonheur défendu, les plaisirs purs seraient moins dédaignés.

À peine arrivé, Gustave se rendit chez son général. Il partait pour la revue.

— Je regrette, lui dit-il, de vous avoir fait faire inutilement le voyage de Peschiera ; ma femme est à Vérone, et je viens de recevoir l’ordre d’y rejoindre aujourd’hui même la division de Masséna. Ainsi, nous souperons ce soir chez madame de Verseuil.

— Vraiment, dit Gustave en s’efforçant de ne montrer que sa surprise.

— Oui, répliqua le général ; elle s’ennuyait à Milan ; j’ai pensé que le séjour de Vérone lui plairait davantage ; et comme le siége de Mantoue nous tiendra encore longtemps dans ces environs, nous aurons quelquefois l’occasion de nous voir. Le major est ici, ajouta-t-il ; c’est lui qui est venu me prévenir de l’arrivée de ma famille.