Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/264

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C’était bien le moment de demander des nouvelles de la santé de madame de Verseuil ; mais Gustave ne put obtenir de sa probité cette politesse d’usage. Il répondit franchement à son général qu’il serait charmé de l’accompagner à Vérone ; et il vint ensuite tout disposer pour se mettre en marche à la tête de son bataillon, et reprendre la même route par laquelle nous venions de passer.

La certitude de revoir bientôt Athénaïs dissipa une partie des idées sombres qui s’étaient emparées de l’esprit de Gustave. Que de plaisir il se promettait à observer le trouble que sa vue lui causerait, à l’augmenter même, en plaçant dans des phrases communes un de ces mots, de ces noms échappés dans le tête-à-tête, et qui transportent, comme par un pouvoir magique, au moment où ils furent prononcés ! Que de charme dans cette contrainte ! Que de soins pour ne pas trahir le secret mutuel, pour ne montrer sa joie qu’à l’objet qui l’inspire ! Tout occupé de ce bonheur prochain, Gustave pensa révéler celui qu’il savourait encore. Nous étions parvenus à un endroit où le chemin se partageant, mène d’un côté à Vérone et de l’autre à Chiusa. M. de Verseuil ayant choisi ce dernier, Gustave lui cria très-imprudemment :

— Vous vous trompez, général ; ne prenez pas par là. Voici le vrai chemin.

— Non, répondit le général ; celui-ci me parait bien plus dans la direction de Vérone.

Et Gustave s’entêtait à prouver que c’était une erreur, sans penser au tort que pouvait lui faire son expérience.

— Mais, répliqua le général avec humeur, comment pouvez-vous savoir mieux que moi si cette route est la bonne ? vous l’avez donc déjà faite ?

Cette question déconcerta Gustave ; il n’osa y répondre ; et le général, prenant ce silence pour l’aveu de l’ignorance de mon maître à cet égard, se mit à suivre le mauvais chemin.

Cependant Gustave ne pouvait se résigner à se voir ainsi égarer à plaisir, et surtout à ne point arriver le soir même à Vérone ; aussi vint-il près de moi pour me dire :

— Conçois-tu l’entêtement de ce général qui s’obstine à nous conduire tout de travers ?