Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/269

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prix digne de leurs efforts : si du moins leurs défauts les faisaient reconnaître ! Mais la plus fière, la plus insensible, devient humble et tendre lorsqu’il s’agit d’enchaîner l’objet de son caprice. Feignant les vertus qu’il préfère, on les voit tour à tour modestes, généreuses, dévouées ; et s’il s’arme contre tant de séductions, irritées par cette résistance, quelquefois l’amour lui-même devient leur complice ; c’est alors qu’elles triomphent, et qu’un siècle de tourments succède à un éclair de bonheur. Cher Gustave, échappe à ce triste sort, et garde l’amour de ton âme si pure et si noble pour la femme qui n’aimera que toi. Laisse-moi te la choisir ; mon cœur seul peut deviner celle qui te mérite. »

Le reste de cette lettre parlait d’affaires de famille, et finissait ainsi :

« Lydie vient de me quitter pour rejoindre son mari à Révanne ; il est, dit-on, fort malade des suites d’une pleurésie. D’après ce que me mande notre docteur, j’avais bien envie d’épargner ce triste voyage à madame de Civray ; mais le sentiment de son devoir l’a emporté sur mes instances. Elle est partie, et, quel que soit l’événement, je vais être très-longtemps privée de sa présence et de ses tendres soins. »

Cette lettre fit profondément rêver Gustave. Il se repentit de n’avoir pas osé se confier à sa mère ; mais il n’était plus temps de suivre ses conseils ; et, dans l’impossibilité de revenir sur le passé, le mieux était de s’étourdir sur l’avenir. D’ailleurs les préventions de madame de Révanne ne pouvaient-elles être injustes ? mais quand Gustave s’efforçait de le croire, la coquetterie de madame de Verseuil le rendait à ses doutes cruels. Provoquant sans cesse de nouveaux hommages, elle semblait quelquefois importunée de l’amour qu’elle lui inspirait. Alors, cédant à sa fierté, Gustave restait quelques jours sans voir Athénaïs, jurait de rompre avec elle, et relisait la lettre de sa mère ; mais Athénaïs, qui craignait de voir échapper son esclave, ressaisissait la chaîne ; et de nouvelles faveurs venaient livrer Gustave à de nouveaux tourments.

Qui n’a pas connu cette triste condition de l’amour, où dominé sans être dupe, on ne peut se soustraire ni à la vérité qui éclaire, ni au penchant qui entraîne ; où, pour le dire