Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/273

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» Je pars ce soir même de Vérone, accompagnée d’une femme de chambre italienne et du vieux serviteur de ma tante. Ce brave homme, qui m’a vu naître, consent à partager ma mauvaise fortune. C’est à Turin que j’attendrai de vos nouvelles. Adieu ; ne me plaignez pas, si votre amour me reste. »

Germain, que mon maître avait laissé à Vérone, fut expédié en courrier extraordinaire pour apporter cette lettre à Gustave. Il la reçut au moment où il attendait des ordres chez le général en chef. Il pâlit si visiblement en lisant les premières lignes de ce billet, que son camarade J… lui dit :

— Serait-ce la mort d’un ami qu’on t’apprend ?

— Non, répondit Gustave en s’efforçant de cacher son trouble ; mais c’est une nouvelle qui m’oblige à prendre quelques mesures. Charge-toi du paquet qu’on doit me remettre pour le général de Verseuil ; je reviendrai le chercher dans un instant.

Alors il accourut dans l’endroit où nous campions, et, me remettant un rouleau de cent louis :

— Pars, me dit-il ; va aujourd’hui même rejoindre madame de Verseuil à Turin. Veille à ce qu’elle soit bien logée, à ce qu’elle ne manque d’aucun soin. Je la confie à ton attachement pour moi.

Puis, se mettant à écrire quelques mots à la hâte, il me fit lire le billet d’Athénaïs. J’en fus plus douloureusement frappé que lui-même, car je prévoyais mieux que personne les suites d’un si fâcheux éclat ; mais je n’eus pas la cruauté de lui en dire un mot. Le mal était fait ; rien ne pouvait empêcher Gustave d’en être victime. Il fallait non le sermonner, mais le secourir, et surtout le seconder dans les preuves de dévouement dont la situation de madame de Verseuil lui faisait un devoir. C’est à ces considérations et à la nécessité de lui ôter toute inquiétude sur le compte d’Athénaïs que je dus le courage d’obéir à mon maître, et de le quitter au moment où l’on allait livrer bataille.