Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/75

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faire la proposition la plus agréable ; car il mettrait ces causeries intimes avec sa mère au nombre de ses plus grands plaisirs. Celle-ci ne devait pas le satisfaire autant ; et il s’en aperçut dès les premiers mots, lorsque la marquise lui dit :

— Comme je suis sûre de ne pouvoir dormir cette nuit, je ne veux me coucher le plus tard possible.

— En effet répondit Gustave avec inquiétude, je vous trouve pâle, seriez-vous souffrante ? Ce soir, lorsque vous êtes rentrée dans le salon, je n’ai pas osé vous le dire, mais votre visage m’a paru extrêmement altéré.

— Il devait l’être aussi, car je venais d’éprouver une grande surprise.

— Ah, ciel ! qu’est-il donc arrivé ?

— Mais, quelqu’un que nous étions loin d’attendre.

— C’est mon père ! s’écria Gustave en se levant précipitamment.

— Hélas ! non, reprit tristement la marquise.

Et Gustave se laissa retomber sur son siége, comme frappé de la foudre. Tous deux gardèrent un instant le silence ; puis, sans paraître sortir de sa profonde rêverie, Gustave proféra ces mots d’une voix concentrée :

— Grands dieux ! que va-t-elle devenir ?…

— Ce que ton courage lui prescrira d’être. De toi seule aujourd’hui dépend toute son existence ; tu peux d’un mot la livrer à l’opprobre ou la rendre à l’honneur.

— Ah ! ma mère, sauvez-la ; prenez pitié de nous ! dit Gustave en embrassant les genoux de sa mère ; car je le sens trop au frisson qui me glace, c’est lui, n’est-ce pas ? c’est cet homme odieux qui croit pouvoir impunément venir l’arracher de mes bras, parce qu’un vain serment lui en donne le droit ; mais il ne sait pas qu’aujourd’hui la loi n’oblige plus à garder ces serments prononcés contre les vœux du cœur : il ne sait pas que cette même loi m’autorise à défendre la victime de sa barbare jalousie. Non, elle n’est plus à lui : l’absence, l’abandon, l’amour, ont rompu ses liens ; c’est en vain qu’il prétendrait l’enchaîner encore par son titre d’époux ; mes droits ne sont pas moins sacrés, et je les soutiendrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang. Suis-je donc fait