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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/81

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peut-être la seule à mes yeux qui méritât l’offrande d’un culte désintéressé ; il y avait tant de plaisir à l’aimer, à lui plaire, qu’on devait craindre de risquer un tel bonheur en cherchant à l’accroître ; et rien ne me paraissait aussi simple que de sacrifier à son repos. Enfin, soit que la vertu ou le temps ait sanctifié l’attachement qui existait entre la marquise et M. de Léonville, il était généralement respecté, même par l’ironie des gens du monde, qui ne respecte rien, et je n’avais pas envie d’être plus méchant qu’eux.

Cette madame T***, que, selon leurs différents langages, les uns appelaient l’Aspasie moderne, ou la Sœur du pot de la Révolution, parce qu’elle en avait soigné les malades ; cette femme, que d’autres louaient de s’être livrée au Minotaure pour sauver sa vie et sa patrie, mais que tous s’accordaient pour trouver belle et compatissante, excitait au dernier point ma curiosité ; et le désir de la voir me fit demander à mon maître la permission d’aller le servir la première fois qu’il dînerait chez elle ; car, mon rang de valet de chambre ne m’obligeant à le servir à table que dans sa maison, quand je voulais m’en donner le plaisir chez les autres, il me fallait obtenir de M. Germain, domestique ordinaire, et des subalternes, l’honneur de le remplacer derrière le fauteuil de son maître ; avantage que le moindre pourboire m’assurait d’avance. Cette fois j’en doublai le prix en raison du service, et ne regrettai pas mon argent, lorsque deux jours après je me trouvai si bien placé pour voir de près les acteurs de cette dernière tragédie bourgeoise, dont quelques-uns devaient bientôt paraître sur un nouveau théâtre, en changeant seulement de costume et de langage. Ce spectacle curieux captiva toute mon attention ; et je n’oublierai jamais ce qui s’y débita de sentences républicaines sur l’horreur du pouvoir absolu, devant celui qui devait s’en saisir le premier.



XVII


L’imagination, qui se peint tous les objets d’après ses désirs ou ses craintes, se peint aussi les hommes d’après leurs ac-