Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/86

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me refuse pas l’honneur de conserver un chef-d’œuvre à ma patrie. » De telles actions doivent être rappelées, ne fût-ce que pour se consoler de toutes celles que l’envie fait commettre.

Pendant que chacun discourait à la fois sur la politique, la gloire, l’amour et la jalousie, Gustave essayait d’amener son voisin à causer avec lui. Il avait déjà tenté plusieurs fois de l’intéresser à différents sujets ; mais quelques mots brefs, suivis d’un profond silence, étaient l’unique réponse qu’il en pût obtenir. Il aurait sans doute abandonné l’entretien, si le désir de s’instruire des moyens de se faire un nom dans la carrière qu’il s’apprêtait à parcourir ne l’avait porté à confier au général B*** le dessein qu’il méditait de se mettre sous la protection d’un bon militaire français, pour l’imiter de son mieux. Cette confidence produisit un effet magique ; le visage du général se dérida tout à coup ; sa voix prit un accent plus doux ; et ne mettant pas moins de chaleur à le déterminer au parti qu’il voulait prendre, que lui-même avait marqué d’indifférence pour tout ce que mon maître lui avait dit avant, il lui parla sans s’interrompre aussi longtemps qu’il avait gardé le silence. Gustave, que le seul mot de gloire transportait, se livrait avec délices au plaisir de l’entendre si bien vanter par celui qu’elle devait bientôt combler de ses faveurs. Le général n’eut pas de peine à prouver à mon maître que jamais la situation de la France n’offrirait à ses défenseurs une plus belle occasion de se distinguer.

— Je n’en doute pas, répondit Gustave ; mais croyez-vous que le fils d’un émigré puisse convenablement s’engager dans la cause que son père…

— Bon ! interrompit le général, il s’agit bien des émigrés dans tout ceci ; qu’ils y consentent ou non, la cause de la Révolution l’emportera toujours. C’est pour cette cause, c’est pour la patrie enfin seule qu’il faut combattre.

— Et si quelque autre Robespierre ramenait la terreur ?

— Impossible.

— Il est tout simple qu’habitué aux succès, vous ne pensiez pas aux revers ; cependant la coalition est formidable.

— Qu’importe ? le nombre ne fait pas la valeur.