Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
SOUS L’ARCHET

cière. Les nouvelles venues me dévisageaient d’une étrange façon.

J’eus peur brusquement. Que me voulaient-elles ?

Elles étaient une vingtaine, très brunes, les cheveux humides et sombres, la bouche ardente.

Du sang tzigane coulait sans nul doute dans leurs veines. Elles étaient de la même race que l’homme qui m’aimait.

Elles s’approchaient de moi, m’entouraient, marchaient, m’obligeaient à les suivre…

Je voulus résister, mais leurs bras me happèrent. Je sentais leurs dures poitrines palpiter près de moi. Je voulus crier. Une main chaude, brutale, se posa sur ma bouche.

L’hallucinante scène dans la nuit étoilée ! Je crois que je tremblais de peur et de froid sous ma robe d’idole. Mes ennemies me conduisaient vers la voiture et me firent signe de monter.

Je regardais vers la maison d’où l’on m’arrachait.

J’aurais voulu voir, une fois encore, l’homme dont elles étaient jalouses, l’homme dont la musique dispensait le bonheur, l’homme dont j’avais fait taire l’archet enchanté.

Mais, par un lent mouvement, muettes, décidées à tout, elles s’étaient massées devant la porte maintenant fermée.

Vaincue, je pris le volant et démarrai. J’allais lentement, lentement, comme à regret… Je me sentais déchue, exclue d’un paradis merveilleux.

Et j’eus le temps d’entendre, avant de m’éloigner à jamais, le chant du violon qui renaissait, tendre et barbare, apportant à la nuit son sortilège…