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LE FANTÔME MAL TUÉ

Elle tortille le faire-part dans tous les sens et le déchiffre lentement.

En même temps que moi, là-bas, tout au bout de notre enfance, Edith était, comme moi, une petite fille bien sage. Si sages et ingénues dans ce pays paisible du jeune âge. Et nous vivions la vie qui venait vers nous comme une brise sur nos visages, avec tant de confiance en elle, l’inconnue, qui tissait nos jours.

Et quand j’ai compris que je devais renoncer, m’écarter et regarder vivre les autres, que l’amour pour moi était un fantôme, j’ai encore plus aimé Edith, comme si à elle, si saine, si belle, j’avais confié, pour qu’elle la défendît, ma part de bonheur.

Car il faut bien vivre, n’est-ce pas, et cela devient possible seulement lorsqu’on a tué les fantômes.

Josette qui a terminé sa lecture laborieuse met la main dans sa poche et prononce comme une condamnation :

— Il y a aussi une lettre de Madame.

Maman a écrit. À Josette, comme d’habitude. Parce qu’elle a un peu peur de moi.

Maman a 38 ans seulement, elle est petite, merveilleusement faite, rieuse, adulée.

Elle ne supporte aucune contrariété. Et certainement, le destin a dû avoir un instant d’étourderie en lui envoyant une fille infirme.

Maman a tout arrangé en vivant loin de moi, à Paris. Ainsi, avons-nous pu rester étrangères l’une à l’autre et ne point souffrir.

Je connais d’avance les lettres qu’elle envoie. Aussi, je repousse celle que me tend Josette.

— Ce n’est pas la peine, je suis sûre qu’elle te demande de veiller sur « notre pauvre enfant ».

— Ça y est. Et puis elle dit aussi qu’elle a besoin de repos et qu’elle arrive accompagnée de deux invités.

— Zut, il lui faut deux personnes pour se reposer. Et quand vient-elle ?

— Mercredi. Tiens, c’est aujourd’hui !