Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
LA LOI DU SUD

Je pousse un gémissement.

Ma vieille bonne continue, impassible :

— Moi, j’ai dans l’idée, puisqu’elle vient en auto, qu’elle sera là pour le déjeuner.

J’étais si tranquille. J’avais ce mois de mars tout neuf à moi et je pouvais rester sous le pommier qui va fleurir, fermer les yeux et imaginer de si jolies choses. J’envoie au diable les invités et je prends mon bain.

Je descends juste à temps pour recevoir les baisers de Maman, entrecoupés d’exclamations :

— Comme tu as bonne mine ! Ça va te fatiguer, tout ce monde, dis ?

De la voiture sort un jeune garçon, grand et blond qui me serre la main sans paraître me voir, en bafouillant quelques mots et qui se lance à la poursuite de maman dans la maison.

« Eh bien ! pensais-je, beau début ; à l’autre, maintenant. »

En face de moi, sans que je l’aie entendu venir, se tient un homme.

Je ne vois d’abord de lui que ses yeux.

Et je reste étourdie, incrédule, sans un mot, la bouche ouverte.

L’inconnu me regarde avec un sourire amusé.

Ni méchant, ni moqueur, un sourire plein de bonté, mais où ne se dissimule pas l’envie de rire.

Depuis que je suis née, je n’ai rencontré que des regards apitoyés, gênés.

Mais qu’est-ce qu’il a donc ?

Mes yeux se remplissent de larmes et je lui jette :

— Pourquoi riez-vous, dites, pourquoi ?

— Vous êtes si drôlement habillée, mademoiselle Françoise !

— Moi ?