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LA LOI DU SUD

racontait-on pas qu’une nuit, en pleine invasion de sauterelles, il avait jailli le premier hors de sa tente, la raie tracée avec soin, les boutons de sa veste rouge boutonnés, ses bottes brillantes ?

À quelques pas, la voiture attendait, chauffeur au volant, moteur trépidant d’impatience, et bientôt, mal réveillé, le médecin accourait.

— Sale histoire ! grogna-t-il, en se laissant tomber sur les coussins du véhicule.

Bientôt l’auto stoppa sur le lieu du crime. Le capitaine Lepage s’élança. À quelques pas de lui, deux corps abandonnés sur le sable : l’homme, dans une pose détendue, presque naturelle. La femme au contraire, demeurait crispée, dans une attitude de lutte ; ses paupières à demi-closes s’étaient immobilisées en esquissant un clin d’œil prometteur, pour attendrir le destin ou séduire la mort.

Le chef de poste, tout de suite, aux visages fermés qui se levaient vers lui, comprit qu’on ne lui dirait rien. Il devinait un de ces drames de tribu que les Européens préféreraient n’avoir pas à juger. Lui surtout qui connaissait les Arabes et les aimait.

Mais il représentait la loi et, seule, elle avait le droit de punir. À faire sa justice elle-même, cette race s’était mutilée, ensanglantée, affaiblie.

Il commença son interrogatoire, en questions brèves, nettes, harcelantes.

Le médecin, qui s’était penché sur les victimes, poussa une sourde exclamation :

— La femme n’est pas morte ! Elle respire encore.

Tirant une seringue de sa trousse, il l’emplit rapidement, fit une piqûre. Agenouillé devant Kheira, la tête sur sa poitrine, il écoutait son souffle qui renaissait, pénible et intermittent.

— Espérez-vous la sauver ? demanda le capitaine.

— Je ne sais pas encore !… Si on pouvait la transporter jusqu’à l’hôpital, peut-être… Mais avec ces pistes,