Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LES ENFANTS DU PÉCHÉ

Ou plutôt, l’horizon était si lointain que les hommes désespéraient de l’atteindre jamais. Les vieux racontaient qu’un gars, un jour, las de cette nostalgie, était parti pour passer la ligne fatidique, mais elle s’était mise à reculer devant lui, et quand il eut marché quatre jours, et même une nuit entière dans l’espoir de la surprendre, elle était toujours à la même distance.

Mais Hanka se souciait peu des villes, des terres, des mondes qui pouvaient exister par delà cet horizon, et se souciait peu aussi qu’il y eût là-bas des hommes peut-être.

Elle n’avait jamais quitté son village, n’avait jamais pensé qu’on pût le quitter, et sa fruste pensée n’était qu’à son bonheur d’être la femme de Gabor.

Gabor faisait cuire le pain du château. Pendant des heures il travaillait solitairement. À grands « aham », il pétrissait la pâte, la façonnait avec mille soins, puis la mettait sur l’étanche et, lorsque le temps était venu, la glissait dans le four.

C’était un homme fort au labeur, ardent au plaisir. Sa barbe rousse rendait plus pâle son visage et il avait des yeux brillants comme ceux des loups pendant les nuits d’hiver.

Il ressemblait trait pour trait au barine.

Le seigneur, un paysan plus rude que les autres moujiks, était le père de tous les premiers nés. Une vieille coutume lui donnait, en effet, le droit — et il en usait sans défaillance, comme les siens en avaient usé — de passer la première nuit avec toutes les jeunes épousées. Il en résultait des incestes pleins d’ingénuité, auxquels personne ne prêtait attention.

Gabor et Hanka étaient tous deux des premiers nés. Ils s’aimaient et leur amour narguait leur vie misérable.

C’est à Gabor que pensait Hanka en caressant son pied nu et en riant toute seule.

On frappa.

Hanka ramena sur ses seins les pans de sa camisole.