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LA LOI DU SUD

On frappa une seconde fois. Puis la porte grinça, un homme entra.

C’était un moine, un très vieux moine si barbu qu’on ne voyait de lui que deux yeux, deux yeux qui semblaient deux boutons de bottine, de ceux qu’on met aux ours de peluche.

— La bénédiction de Dieu sur vous, psalmodia-t-il.

— Sur vous, mon Père, et sur tous ceux de ses enfants, répondit la femme en se signant trois fois.

Le Père baisa l’icone à pleine barbe. Puis, il s’assit.

Hanka alluma la chandelle, mit devant le voyageur une assiette de borstch, posa un reste de pain, servit le thé.

Avec un bruit insistant, le moine se mit à manger.

Hanka, le laissant là, courut au fournil. Elle bondissait, légère comme une flamme ; sans reprendre haleine, elle cria de loin :

— Gabor, Gabor, il y a un Père chez nous.

Gabor se signa au-dessus du pétrin, et ses mains gluantes entraînèrent la pâte, si bien qu’elles dessinèrent dans la lueur du four une sorte de croix pâle.

— Je viens, ma petite âme, dit-il.

Hanka, toujours du même pas dansant, retourna dans l’isba.

Le moine avait joint les mains et priait. L’assiette était vide, le pain et le thé étaient consommés. On entendait un ronronnement sortir de la place où devait se cacher sa bouche.

Lorsque Gabor entra, le Père leva les yeux et fixa le couple qui se tenait devant lui. Gabor était grand et fort, avec des épaules puissantes. À son côté, Hanka semblait frêle ; elle avait renoué son mouchoir sur sa tête.

Le Père les regarda l’un et l’autre de ses petits yeux ronds.

— N’êtes-vous pas les enfants du péché ? dit-il.

Hanka répondit humblement :