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LA LOI DU SUD

fenêtre close, puis revenait encore aux traits crispés par l’effort dans la vaste barbe rousse.

Les paroles du moine vrillaient ses oreilles :

« Les enfants du péché. »

Laborieusement, péniblement, l’idée se faisait un chemin jusqu’à sa conscience, et elle n’osait comprendre que, sans doute, son bonheur était menacé.

Gabor, peut-être, eût pu la tirer de son anxiété, eût pu l’assister en cette révélation et la rassurer sur un lendemain dont elle épiait anxieusement l’aube que le visiteur nocturne avait chargée de sa malédiction.

Mais elle n’osait adresser la parole à son mari, et celui-ci semblait ignorer sa présence insolite.

Il y eut ainsi des heures, puis des heures dont ils n’eurent pas conscience. Il leur sembla seulement que la nuit mettait plus de temps que d’habitude à passer sur la terre basse où elle paraissait ramper.

Ayant enfourné les pains, les pains façonnés longuement en boules égales, Gabor nettoya ses outils, les rangea avec soin, remit tout en place minutieusement.

Alors seulement, il regarda sa femme.

L’aube triste blanchissait à peine le haut de la lucarne.

Hanka, recroquevillée sur elle-même, s’était assoupie.

Gabor, lui, s’assit dans un coin, se cala contre un escabeau, voulut dormir.

Mais il ne le put. Une sourde angoisse le poignait à l’âme, et il dut, de ses yeux hagards, regarder dans les vitres sales du fournil grandir peu à peu le jour.

Il y fallut du temps et encore du temps.

Une à une les choses sortirent de l’obscurité, s’annonçant d’abord par quelque détail d’elles-mêmes, puis se précisant et revenant enfin à leur réalité.

Au dehors, la plaine avait repris sa monotonie et montrait le même paysage. Les bouleaux dressaient leurs fûts blancs derrière le château, et puis, c’était la terre nue, vaste, solitaire.