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AU DELÀ DE L’AMOUR

mouton. Sur un feu de bois, il rôtit tout entier, embaumant l’air.

Bientôt, assis tous en cercle, nous déchiquetons avec nos mains la viande odorante, en nous repassant fraternellement une guerba pleine d’eau.

Je goûte comme il se doit l’hospitalité des seigneurs de la piste et remercie mon hôte avec l’appétit qui convient.

Tout à coup, un Arabe essoufflé arrive, porteur des dernières nouvelles.

— On s’est battu, avant que les spahis n’arrivent, à quelques kilomètres d’ici. Le djich avait volé plusieurs chameaux à une tribu de Beni-Ghen. Ceux-ci l’ont poursuivi et rattrapé alors qu’il campait et mangeait justement un des animaux volés. Les Beni-Ghen ont tué tous les djicheurs — sauf un — un jeune garçon qui s’est enfui et dont on a perdu la trace.

— Tout cela est bizarre, grogne Embarreck dans sa barbe noire.

— Oui, réplique Ameur, vraiment bizarre. A-t-on déjà vu un djich qui allume du feu, comme s’il désirait signaler sa présence à tous ?

— Les traditions se perdent, dis-je moqueusement. Bientôt, il n’y aura même plus de djich. Enfin, maintenant que l’aventure est finie, je vais me promener un peu. Ce coin me plaît beaucoup.

— Prends ton revolver, conseille Ameur.

Me voici seule, sur le reg sablonneux.

La nuit est bleue et froide. Un morceau de lune, qui a l’air d’un œuf brillant pondu par une poule distraite, dispense une faible clarté.

Une forme blanche fonce sur moi.

— Baleck ! criai-je. Attention !

Sans paraître entendre, elle vient jusqu’à moi, chancelle, s’écroule.

Je me penche. Un jeune garçon gît à mes pieds. Un chèche couvre à demi son visage. Une gandourah enve-