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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

les salons de la démocratie », car rien ne semblait moins démocrate que ses habitués. Non pas que ce fût là un bar très chic ; il était plutôt fréquenté par le personnel des boîtes voisines, et on distinguait fraternellement mêlés les musiciens de la « Cabane Cubaine » et les danseurs russes échappés du Caveau Caucasien. Il y avait là aussi Teddy Michaud portant sur son genou le museau de son chien Rintintin et sur son épaule un singe frileux accompagné par une jeune Américaine trop blonde dont le visage pointu ressemblait à celui du renard peureux blotti dans ses bras.

Il n’en fallait pas plus pour éblouir Ruby qui, bien que danseuse au Casino de Paris, n’était encore jamais entrée dans un bar la nuit. Pour elle, le contraste était brutal entre l’atmosphère morne de la maison bourgeoise qu’elle venait de quitter et l’ambiance de gaîté, dont le factice ne lui apparaissait pas, de ce monde où elle entrait.

Des hommes buvaient : quelques-uns étaient en smoking, mais c’était pour eux un vêtement de travail. Des femmes entraient et sortaient. Sous leurs fards violents, elles portaient un masque de lassitude.

À une table proche, trois messieurs très élégants entouraient une femme belle et précieuse comme une fleur de serre.