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LA MORT FAIT LE TROTTOIR

les syncopes du jazz. Sur la piste, les couples se balançaient en cadence sans échanger une parole.

Puis, sur un coup de cymbale, l’orchestre se tut. Les couples désunis regagnèrent leurs tables. Un roulement de tambour et l’extinction des tubes lumineux qui couraient sur les corniches annoncèrent que l’attraction allait avoir lieu.

L’orchestre préluda, puis, surgie on ne sait d’où, une danseuse s’élança, aussitôt prise dans le bras d’un projecteur. Elle était vêtue d’une large robe blanche qui mettait des voiles flottants à chacun de ses gestes et parfois la faisait disparaître entièrement dans une vaste corolle mouvante.

Le projecteur la vêtait tour à tour d’orange, de vert, de rouge, et chacune des couleurs donnait à sa danse un rythme différent. Sous la lueur orange, elle allait calmement, traînant derrière elle comme des nageoires géantes de poisson japonais, semblant évoluer dans une trouble atmosphère sous-marine, puis, accentuant insensiblement la vitesse de ses gestes, elle se donna à de lentes voluptés. cueillant les caresses et les baisers de mille bouches offertes comme celles de la mer, et s’inclinant en arrière comme sur la courbe d’une vague.

Peu à peu, la couleur virait au vert, et la danseuse devint une onde frisselante sous le souffle de la brise ; elle s’enfla, tumultueuse, écumeuse. Un instant, elle se brisa contre un invisible rocher, puis repartit, harcelée par l’ouragan. Et elle n’était plus océan, mais bien ramures de la forêt furieu-