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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

pont, crie aussitôt à l’oppression et jure que la liberté est perdue[1].

De tous les pays que j’ai vus jusqu’à présent, l’Angleterre est le seul où l’on a vu réunir les bienfaits inestimables de la liberté avec les avantages d’une administration énergique et nécessaire pour le bien de tous. Les Américains, par leurs lois, par leur situation géographique à l’abri des guerres qui déchirent l’Europe, jouissent d’une vie pure et paisible, mais ce n’est que parce qu’ils ne connaissent pas encore les raffinements des plaisirs, ni le tumulte des passions que ces plaisirs provoquent. Il faudra des siècles pour que l’accroissement de la population crée chez eux le luxe et les besoins factices, trace une ligne distincte entre le riche et le pauvre, et force un grand nombre de ces derniers à louer leurs bras à un bas prix ; ce n’est qu’alors que le superflu des bras employés pour acquérir le nécessaire sera tourné vers les objets de luxe et de magnificence. Les arts et les sciences embelliront les cités, feront naître des jouissances et des maux inconnus jusqu’à présent ; l’homme jouira et souffrira plus ; en sera-t-il plus heureux ? Je l’ignore.

  1. Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler ici au lecteur que ces remarques de Niemcewicz étaient écrites aux États-Unis, il y a de cela cinquante ans.