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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

pont, les infirmes et les mendiants l’entourèrent et un bossu lui parla et lui dit :

« Vois, Zarathoustra ! Le peuple lui aussi profite de tes enseignements et commence à croire en ta doctrine : mais afin qu’il puisse te croire entièrement, il manque encore quelque chose — il te faut nous convaincre aussi, nous autres infirmes ! Il y en a là un beau choix et, en vérité, c’est une belle occasion de t’essayer sur des têtes nombreuses. Tu peux guérir des aveugles, faire courir des boiteux et tu peux alléger un peu celui qui a une trop lourde charge derrière lui : — Ce serait, je crois, la véritable façon de faire que les infirmes croient en Zarathoustra ! »

Mais Zarathoustra répondit ainsi à celui qui avait parlé : Si l’on enlève au bossu sa bosse, on lui prend en même temps son esprit — c’est ainsi qu’enseigne le peuple. Et si l’on rend ses yeux à l’aveugle, il voit sur terre trop de choses mauvaises : en sorte qu’il maudit celui qui l’a guéri. Celui cependant qui fait courir le boiteux lui fait le plus grand tort : car à peine sait-il courir que ses vices l’emportent. — Voilà ce que le peuple enseigne sur les infirmes. Et pourquoi Zarathoustra n’apprendrait-il pas du peuple ce que le peuple a appris de Zarathoustra ?

Mais, depuis que j’habite parmi les hommes, c’est pour moi la moindre des choses de m’apercevoir de ceci : « À l’un manque un œil, à l’autre une oreille, un troisième n’a plus de jambes, et il y en a d’autres qui ont perdu la langue, ou bien le nez, ou bien la tête. »

Je vois et j’ai vu de pires choses et il y en a de