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AURORE

lointain pour nous ; nous y perdons la vue, l’ouïe, l’entendement, le sens de la jouissance et de l’évaluation ; mais, malgré tout, cela pourrait bien être des astres ! Les Allemands auraient-ils découvert en toute douceur un coin du ciel et s’y seraient-ils installés ? Il faut essayer de s’approcher des Allemands. » Et on s’approcha d’eux ; tandis que, peu de temps après, ces mêmes Allemands commencèrent à se donner de la peine pour se débarrasser de cet éclat de voie lactée ; ils savaient trop bien qu’ils n’avaient pas été au ciel, — mais dans un nuage !

191.

Hommes meilleurs. — On me dit que notre art s’adresse aux hommes du présent, avides, insatiables, indomptés, dégoûtés, tourmentés, et qu’il leur montre une image de la béatitude, de l’élévation, de la sublimité, à côté de l’image de leur laideur : afin qu’il leur soit possible d’oublier une fois et de respirer librement, peut-être même de rapporter de cet oubli une incitation à la fuite et à la conversion. Pauvres artistes, qui ont un pareil public ! Avec de telles arrière-pensées qui tiennent du prêtre et du médecin aliéniste ! Combien plus heureux était Corneille — « le grand Corneille », comme s’exclamait Mme de Sévigné, avec l’accent de la femme devant un homme complet, — combien supérieur le public de Corneille à qui il pouvait faire du bien avec les images de la vertu chevaleresque, du devoir sévère, du sacrifice généreux, de l’héroïque discipline de soi-même ! Combien différemment l’un et l’autre