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AURORE

aimaient l’existence, non pas créée par une « volonté » aveugle et inculte, que l’on maudit parce qu’on ne sait pas la détruire, mais aimant l’existence comme un lieu où la grandeur et l’humanité sont possibles en même temps, et où même la contrainte la plus sévère des formes, la soumission au bon plaisir princier ou ecclésiastique, ne peuvent étouffer ni la fierté, ni le sentiment chevaleresque, ni la grâce, ni l’esprit de tous les individus, mais sont plutôt considérés comme un charme de plus et un aiguillon à créer un contraste à la souveraineté et à la noblesse de naissance, à la puissance héréditaire du vouloir et de la passion !

192.

Désirer des adversaires parfaits. — On ne saurait contester aux Français qu’ils ont été le peuple le plus chrétien de la terre : non point qu’en France la dévotion des masses ait été plus grande qu’ailleurs, mais les formes les plus difficiles à réaliser de l’idéal chrétien s’y sont incarnées en des hommes et n’y sont point demeurées à l’état de conception, d’intention, d’ébauche imparfaite. Voici Pascal, dans l’union de la ferveur, de l’esprit et de la loyauté, le plus grand de tous les chrétiens, — et que l’on songe à tout ce qu’il s’agissait d’allier ici ! Voici Fénelon, l’expression la plus parfaite et la plus séduisante de la culture chrétienne, sous toutes ses formes : un moyen-terme sublime, dont, comme historien, on serait tenté de démontrer l’impossibilité, tandis qu’en réalité il ne fut qu’une perfection