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AURORE

tures poétiques, mais est aussi un danger pour elles, c’est leur imagination qui épuise d’avance : l’imagination qui anticipe ce qui arrivera ou pourrait arriver, qui en jouit et en souffre d’avance, et qui, au moment final de l’événement ou de l’action, se trouve déjà fatiguée. Lord Byron, qui connaissait trop bien tout cela, écrivit dans son journal : « Si jamais j’ai un fils il devra devenir quelque chose de tout à fait prosaïque — juriste ou pirate. »

255.

Conversation sur la musique. — A : Que dites-vous de cette musique ? — B : Elle m’a subjugué, je n’ai rien à dire du tout. Écoutez ! La voici qui reprend ! — A : Tant mieux ! Veillons à ce que ce soit cette fois nous qui la subjuguions. Puis-je écrire quelques paroles sur cette musique ? Et aussi vous montrer un drame que vous ne vouliez peut-être pas voir à la première audition ? — B : Je vous écoute ! J’ai deux oreilles et davantage si cela est nécessaire. Approchez-vous tout près de moi ! — A : Ce n’est pas encore cela qu’il veut nous dire, jusqu’à présent, il promet seulement qu’il veut dire quelque chose, quelque chose d’inouï, ainsi qu’il le donne à entendre par ces gestes. Car ce sont des gestes. Comme il fait signe ! comme il se redresse ! comme il gesticule ! Et voilà que le moment de tension suprême lui semble arrivé : encore deux fanfares et il présentera son thème superbe et paré, comme ruisselant de pierres précieuses. Est-ce une belle femme ? Ou bien un beau