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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/56

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AURORE

mauvais, vivaient mélancoliquement et demeuraient pauvres en actions, étaient appelés poètes ou penseurs, prêtres ou « médecins » — : parce qu’ils n’agissaient pas suffisamment, on eût volontiers méprisé de pareils hommes ou bien on les eût chassés de la commune ; mais il y avait à cela un danger, — ils s’étaient mis sur la piste de la superstition et sur les traces de la puissance divine, on ne doutait pas qu’ils ne disposassent de moyens appartenant à des puissances inconnues. C’est en cette estime qu’étaient tenues les plus anciennes générations de natures contemplatives, — estimées exactement au degré où elles n’éveillaient pas la crainte. Sous cette forme masquée, en ce respect douteux, avec un mauvais cœur et un esprit souvent tourmenté, la contemplation a fait sa première apparition sur la terre, faible en même temps que terrible, méprisée en secret et couverte publiquement des marques d’un respect superstitieux ! Il faut dire ici comme toujours : pudenda origo !

43.

Combien de forces le penseur doit maintenant réunir en lui. — Devenir étranger aux considérations des sens, s’élever à l’abstraction, — c’est ce qui a véritablement été considéré autrefois comme de l’élévation : nous ne pouvons plus avoir tout à fait les mêmes sentiments. L’ivresse créée par les plus pâles images des mots et des choses, le commerce avec les êtres invisibles, imperceptibles, intangibles, étaient considérés comme existence dans