Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/17

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disparate qu’il y a entre cette crédulité satisfaite et même triomphante, et une infériorité qui est notoire. Car tout ce qui pense comme pense l’opinion publique s’est bandé les yeux et s’est bouché les oreilles. On ne veut à aucun prix que ce contraste existe. D’où cela vient-il ? Quelle est la force assez dominante pour prescrire cette non-existence ? Quelle espèce d’hommes est devenue assez puissante en Allemagne pour interdire des sentiments aussi vifs et aussi simples, ou pour empêcher, du moins, que ces sentiments puissent s’exprimer ? Cette puissance, cette espèce d’hommes, je veux l’appeler par son nom — je veux parler des philistins cultivés.

Le mot philistin est emprunté, comme chacun sait, au langage des étudiants. Il désigne, dans son acception la plus étendue, bien que dans un sens tout à fait populaire, le contraire du fils des muses, de l’artiste, de l’homme de haute culture. Le « philistin cultivé », dont nous nous sommes imposé la tâche peu agréable d’étudier ici le type et d’écouter les confessions, se distingue cependant de l’espèce commune du « philistin » par une superstition : il croit être lui-même fils des muses et homme cultivé. C’est là une illusion qui paraît inconcevable, et il faut en déduire qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’est le philistin et le contraire du philistin. Nous ne nous étonnerons donc pas si, la plupart du temps, il jure ses grands